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Expériences

 

Vous l’avez tous fait. C’est certain. C’est ob-li-ga-toi-re. Aussi vrai que nous sommes humains, vous l’avez fait : vous regarder assidûment dans le miroir. Pas pour vérifier votre apparence, le placement de vos cheveux, l’effet de votre sourire. Non. Pour constater que vous êtes là, vivant. Que vous n’êtes pas un mirage, une image. Et là, plongé les yeux dans vos yeux, vous surveillez que les gestes reflétés suivent bien les mouvements de votre visage. Sait-on jamais, si vous pouviez expérimenter ne serait-ce qu’une latence, une fraction d’expression qui s’échappe, quels mystères s’ouvriraient alors à vous… Et puis arrive ce moment où vous obtenez le résultat strictement inverse. D’un coup, vous ne savez plus. Est-ce bien vous, là ? Vraiment ? Voilà : vous vous êtes tellement observé que vous ne vous reconnaissez plus. Il faut alors un sursaut, un mouvement plus franc, pour retrouver le sens du réel, du présent, de votre présence.

Cette expérience existe côté langage – elle est savoureuse mais vous la connaissez, c’est sûr, aussi sûr que deux et deux font quatre et que c’est bien vous, là, dans le miroir. Prenez un mot. N’importe lequel, sachant que ça fonctionne particulièrement bien avec « fenouil » ou « fourchette », quoique « artichaut » fait bien l’affaire aussi. Répétez-le. Encore. Et encore. Toujours plus. Davantage. N’arrêtez pas ! Vous y êtes : ce mot n’a plus aucun sens. Existe-t-il ? Pourquoi ? Comment ? Qui l’a décidé ? En est-on certain ? Ne venez-vous pas de l’inventer à l’instant ? Il paraît fou, ce mot, maintenant. C’est imparable : vous finirez le nez dans le dictionnaire pour vérifier que fourchette, fenouil et artichaut font vraiment partie d’un réel partagé avec vos semblables.

Pour une expérience hors du commun, combinez les deux. Face au miroir, répétez à l’envi « fenouil » tout en cherchant à reconnaître votre propre image.

Personnellement, je ne suis jamais allée jusque-là. J’aurais trop peur de me perdre.

21.11.17

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