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Le square

 

6h30. Les types de la Ville balayent, ramassent les débris les déchets les canettes les capotes les feuilles mortes à la pelle. Ils évitent l’homme qui dort sur le banc, sous son carton. Ils ne le dérangent pas. Lui se lève et va au point d’eau. Subtil ballet où chacun s’ignore, avec toute la pudeur nécessaire. Ils ont un job, lui non.

7h00. Place aux battants, à ceux qui jouent au ping-pong avec leurs dossiers en arrivant au boulot sur les coups de 8h – 8h02. Accompagnés d’un coach, ils sautent, moulinent des bras, transpirent. Ils se dépassent, dans les 3 mètres carrés fraîchement balayés.

8h00. Personne.

De 9 à 11, la tranche est réservée aux flâneurs. Touristes absorbés par l’écluse, les canards, la beauté des ponts en escalier de métal et de bois – oh ! un caneton ! – et leurs selfies. Retraités qui se posent un instant pour profiter du calme. Chômeurs qui viennent lire le journal. Collégiens qui sèchent les cours, s’installent dans les jeux pour enfants et devisent bruyamment, avec force gestes, des infos dont seule leur tranche d’âge a le secret. Leur tranche d’âge et les talentueux marketeurs.

Midi. C’est cantoche. L’une vient seule, avec sa salade entupperwarisée et ses écouteurs dernier cri, qui rappellent les cache-oreilles en moumoute synthétique des années 80. Un autre s’asseoit avec un sandwiche et son ordi sur les genoux. Pas de temps à perdre : il profite des rayons du soleil et de l’éclairage de son écran. Quelques collègues ont fait la folie d’aller tous ensemble pique-niquer dehors. Cette sensation de liberté les rend joyeux, leurs gestes sont amples, ils se partagent les tomates cerises. Les couples illégitimes sont reconnaissables entre mille, ils sont bien trop vieux pour être aussi fougueux. Ils occupent les bancs du fond, un peu cachés. Les jeunes amoureux sont touchants, ils convoquent simultanément une fugace nostalgie des 15 ans et la chanson de Brassens.

Les flâneurs reprennent leurs droits jusqu’à 16h30. Alerte. C’est l’invasion d’enfants, de nounous, de parents. Et que je te pousse, et que je glisse, et que je mets les pieds dans les flaques, et que je ramasse les beaux marrons – oh, un caneton ! Gaieté absolue, bientôt suivie des « on y va maintenant, c’est la dernière fois », inéluctable transition vers les pleurs de frustration.

18h30. La place est libre. Revoici « les jeunes ». Ils font moins de bruit que les petits, sauf quand ils s’engueulent. Mais comme ils s’engueulent pour rire, c’est difficile à suivre. Peu à peu, ça se calme, l’ambiance devient douce. C’est l’heure des joints. La nuit tombée, on entend la petite sono, des éclats de rire, le bruit de la frime. Puis, selon les jours, place à la fête ou place à la détresse. Petit groupe d’amis qui viendront boire un verre, fumer et écouter leur musique. Ou petits deals, petites arnaques, grandes embrouilles, cris.

Quoi qu’il se passe, le lendemain à 6h30 le ballet reprend.

16.10.17

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