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Le monsieur gris

 

Depuis ma cuisine, la vue donne sur son bureau. Parfois, je me demande si c’est son manteau posé sur le dos du siège qui donne l’impression de sa présence. Mais non, c’est bien lui, il bouge, il est là. A 20h, 21h, 22h, encerclé de vertigineuses piles de dossiers. Il est là. Samedi et dimanche compris. Le matin, je le croise quand je sors à 8h20, lui arrive. Il ne me reconnaît jamais. Ça fait seulement 7 ans qu’on se voit tous les jours, aucune raison qu’il me situe. Il s’occupe vraisemblablement de quelque chose de très sérieux lié aux métiers de la céramique, car notre pied d’immeuble accueille une vitrine consacrée aux émaux. Elle dénote un tantinet dans l’évolution de notre quartier. Pensez-vous, de la céramique au milieu des concept stores avant-gardistes du 10ème arrondissement. Mais il tient le siège. Il résiste. Je suis estomaquée par sa capacité à rester immobile devant son ouvrage, à son bureau, seul. Je l’ai longtemps soupçonné de regarder de la pornographie le soir, mais force est de constater que son absence de mouvements prouve le contraire. Bref, il bosse. Et été comme hiver, printemps comme automne, il est habillé en beige, en gris, en beige, en gris, avec parfois une touche de sombre marron. La monotonie de sa vie semble avoir déteint sur sa garde-robe. Que fait-il ? Pourquoi le fait-il autant ? Et le reste de son temps, à quoi le consacre-t-il ? Ce mystère est sous mes yeux depuis 7 ans. Et il me fascine par sa constance et son opacité.

7.10.17

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