Mère
Longtemps, je me suis couchée tard. Très. Et le mot « sieste » faisait partie des incongruités réservées aux vieux, un vocabulaire vu de loin.
Longtemps, j’ai porté un regard compatissant quoiqu’un peu méprisant sur les adultes, ceux qui avaient besoin de rentrer tôt parce que tu sais, moi, demain…
Longtemps, j’ai imaginé que devenir parent réclamait une foi totale dans son avenir, un sentiment d’avoir accompli sa destinée, un solide compte épargne-logement et une voiture.
Longtemps, j’ai pensé qu’être maman était un truc linéaire.
Depuis, j’ai revisité mes classiques.
Devenir mère, contrairement à ma croyance initiale, n’était pas soudain. Encore moins linéaire. Et, encore moins que moins, simple.
C’est une rupture.
C’est sans doute la véritable genèse de l’expression « avant / après ».
C’est le test ultime côté patience.
C’est accepter avec un flegme digne des plus grands britanniques qu’on te vomisse dessus, qu’on te pourrisse tes nuits, qu’on te crie dans l’oreille, qu’on réclame ton attention 459 fois par jour.
C’est découvrir, avec un étonnement digne d’un premier amour, une petite personne qui se découvre elle-même. Qui te ressemble, qui lui ressemble, mais surtout – encore plus fort – qui se ressemble.
C’est changer tes priorités, ton emploi du temps, ton organisation, de manière massive, sans touche retour disponible. Et, de temps à autres, repenser à « l’avant » avec vertige, en constatant sa distance irrémédiable. En constatant surtout l’existence d’un « avant ».
C’est renouer avec ta propre enfance : ses mystères, sa magie, sa puissance imaginaire.
C’est observer quelqu’un au quotidien, en mouvement permanent, insaisissable.
C’est la découverte de plaisirs insoupçonnés autant que d’emmerdes inimaginables.
C’est l’entrée dans le grand jeu de la lutte des Principes sur des Questions qui n’auraient jamais retenu ton attention, avant.
C’est découvrir intensément le sens des mots « oui » et « non ».
C’est accepter d’avoir planté un haricot magique : demain, l’enfant fera sa vie. Car parmi tout ce foisonnement, s’il y a bien un seul cliché réaliste, c’est que « tu verras, ça passe tellement vite ».
6.01.18